«Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde», jugeait Camus.
En ancien français, « viande » signifiait « nourriture » (du latin vivenda : ce qui sert à la vie). Aujourd’hui, la viande désigne les parties comestibles de certains animaux terrestres.
Le scientifique et expert du milieu agricole américain Jack Britt explique que « la vache du futur sera d’une race artificiellement créée par l’Homme afin de combiner santé, production et empreinte environnementale. Parce que si nous voulons nourrir 10 milliards de personnes en 2050, il faut considérer le troupeau comme un superorganisme et non plus travailler par individu.» Mais alors, cher M.Britt, si on ne considère plus l’individu, peut-on encore le respecter ?
Certains ont dénoncé à l’époque la pratique de la célèbre primatologue Jane Goodall, qui consistait à attribuer des noms aux chimpanzés plutôt que des numéros comme le veulent les protocoles classiques. Donner un nom, c’est considérer chaque individu comme ce qu’il est : un être unique, doté d’une personnalité et d’une existence propre.
Moins célèbre que Jane : ma mère. Enfant, on lui confia une oie qui répondait au nom de Doudoune (Prémonitoire peut-être ? Sic.). Elle la suivait partout. Jamais elle n’aurait songé à la manger. Pour autant, elle a toujours aimé le fois gras. “Quelle différence cela fait-il ?” lui demandai-je. “Les autres oies, je ne les connais pas !” me répond-elle.
Alors, pourquoi le mot « viande » contribuerait t’il à la chosification du vivant ?
Parce qu’en coupant tout lien sémantique avec l’animal, on coupe aussi le lien affectif. En droit, rappelons que les animaux sont placés dans la catégorie des biens. Et que je sache, on donne rarement un nom aux objets (Bon d’accord, ma voiture s’appelle Valrkyrie, et mon sac-à-dos Marie-Louise…).
Je fais le lien avec cet arrêté de 2014 qui a permis aux professionnels de la filière de faire évoluer les dénominations des étiquettes, dans les rayons des supermarchés. Les noms anatomiques ont été remplacés par des noms « plus simples et plus génériques » : steak, rôti, bourguignon, pot-au-feu, escalope.
En détournant le nom du morceau anatomique vers la destination culinaire, on détourne dans le même temps l’esprit du consommateur de l’animal. Plus facile alors d’oublier ce qui s’est passé avant l’assiette et qui, il faut bien l’admettre, le dégoûte un peu. Et pour cause.
Alors aujourd’hui, si je remplace le mot viande par le mot animal, c’est justement pour ne pas oublier que derrière le steak dans l’assiette de mon voisin, il y a un être vivant. Unique. Conscient. Sensible.
Et toi ? Quelle partie d’animal mort vas-tu cuisiner aujourd’hui ?