« Voyons Charlotte, ne cédons pas à l’anthropomorphisme !»
Ha ! Cette petite phrase qui jaillit dès que je m’épanche sur la condition des animaux ou que je questionne sur ce qu’ils peuvent ressentir dans leurs cages, privés de leur liberté. Je suis toujours surprise par cet argument. Je le trouve un peu paresseux et souvent teinté de bonne conscience. J’ai même parfois l’impression que mon interlocuteur.trice essaye de se convaincre lui.elle-même…
Eh bien moi, au contraire, je suis fière de cultiver mon anthropomorphisme !
Je l’utilise sans modération car il constitue ma capacité à me relier aux autres êtres. C’est lui qui me permet d’imaginer et donc d’évaluer selon mes propres « sentis » ce que peut vivre un animal dans l’expérience que je lui impose. Sinon, que me reste t’il pour imaginer le monde émotionnel de l’animal ? Où placer la frontière de sa souffrance physique et psychique ? Et comment peuvent s’exprimer ma compassion, mon empathie et mon altruisme ? Faut-il les laisser au placard eux aussi ?
Pour moi, c’est justement parce que les animaux ne peuvent pas parler que nous devrions les traiter avec une infinie délicatesse.
Vous avez peut-être déjà fait l’expérience de vous mettre à la place d’une poule élevée en batterie, d’un cochon dans un camion de transport, ou d’un lapin dans un laboratoire. Moi, je l’ai fait, à l’époque ou je consommais des animaux. Comme moi, vous avez rapidement chassé ces pensées dérangeantes et ravalé votre « sensiblerie ». Sans doute, avez-vous inconsciemment invoqué l’argument de l’anthropomorphisme pour vous rassurer : non, vous n’êtes pas un bourreau.
Il existe une idée répandue selon laquelle les humains sont d’avantage capables de souffrir que les animaux.
Pardon, mais il faut que vous sachiez : il n’y a rien à ce jour qui prouve la véracité de cet argument. D’ailleurs, nous ne savons même pas si nous éprouvons tous deux la même souffrance ! Ce n’est pas faire preuve d’anthropomorphisme que d’imaginer que les animaux souffrent : la science nous dit qu’ils ont les mêmes zones du cerveau liées au traitement de la sensation de la douleur que nous.
La reconnaissance de la sentience gagne du terrain au sein des espèces : des scientifiques ont soutenu récemment que les insectes possédaient un équivalent du mésencéphale des vertébrés, et pouvaient avoir une expérience subjective (1). Et les poissons ? Ils possèdent des neurones sensoriels physiologiquement identiques à ceux dont nous disposons en tant qu’humains.
La Déclaration de Cambridge (2) rédigée par treize neuro-scientifiques d’institutions de renommée, indique – sur la base de l’état actuel des connaissances – que « l’ensemble des mammifères et des oiseaux, ainsi que de nombreuses autres espèces, telles que les pieuvres, possèdent les substrats neurologiques de la conscience ».
Quant à la reconnaissance émotionnelle, elle est aussi peu à peu reconnue : les vaches pleurent l’enlèvement de leur progéniture en poussant des cris languissants pendant des heures, de même pour les orques, qui l’expriment d’une autre manière. Regardez simplement votre chien qui peut être sujet à de l’anxiété lorsque vous le laissez seul !
Maintenant, faisons une petite expérience 100% anthropomorphique (3).
Voici le tout premier étiquetage « bien-être Animal » (4) en cours de déploiement dans les enseignes Casino, qui semble constituer un grand pas en matière de condition animale. Le poulet étiqueté NIVEAU A étant celui qui est le mieux traité durant son existence.
Je me suis souvent questionnée sur le bien-être animal (le courant du « welfarisme ») en me demandant dans quelle mesure cela constituait une opportunité de faire avancer le droit animal ou au contraire, un risque de faire accepter un jour l’inacceptable.
Pour trouver des réponses à mes questions, j’ai fait le petit exercice suivant: si on développait une grille sur le « bien-être humain », et que vous étiez dans le haut du panier (A), voilà à quoi ressemblerait votre existence :
Vous vivriez dans un appartement de 25 m2, avec 10 colocataires (5). Mais bon, on vous a mis une fenêtre et un extérieur auquel vous avez accès quand les conditions le permettent #grandluxe. Pour exprimer votre comportement naturel, vous disposez d’une chaise et d’un paquet de chewing gum. A l’âge de 18 mois (6), on vous fait monter dans un camion. Vous allez rouler pendant trois heures. Vous arrivez dans un lieu ou vous allez être tué. Suspendu par les pieds, vous serez étourdi, puis on va vous trancher la gorge. En résumé, vous aurez vécu pour être mangé par un humanoïde qui a décidé qu’il pouvait disposer de vous comme bon lui semble, parce qu’il pense être beaucoup plus intelligent que vous.
Mais bon, rassurez-vous : tout ça est filmé ! Ça améliore quand même grandement votre bien-être n’est ce pas ?
Si vous aviez été classé D, vous auriez eu 3 copains de plus dans l’appartement ; vous auriez été enfermé non stop pendant 1 an sans jamais pouvoir échapper à la lumière artificielle ; vous n’auriez eu droit ni à la chaise, ni au chewing gum à mâchouiller pour passer le temps. Puis après 8 heures de camion, on on vous aurait zigouillé sans même immortaliser ça en vidéo.
…
Vous êtes encore là ? Alors, je vous adresse une dernière question: pensez-vous que les mesures destinées à améliorer le bien-être de l’animal sont réellement destinées à les rendre heureux ou contribuent t’elles seulement à nourrir les stratégies marketing qui soulageront votre conscience de consommateur ?
Moi, j’ai choisi il y a 5 ans de ne plus jamais contribuer à torturer des animaux. Et c’est la plus belle décision que j’ai jamais prise de ma vie.
Le droit n’est que le reflet de la société dans la laquelle nous vivons. Si vous voulez faire changer le droit, commencez par faire évoluer vos propres lois.
Sources :